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Ne tuons pas Charlie Hebdo une seconde fois

Posted in § - Midia, D - Costik, П - Politix, Ш - Sochol by [ Enikao ] on 10 janvier 2015

Je ne sais pas par où commencer face à l’énormité de ce qui s’est passé, mais il faut que ça sorte. C’est allé trop vite, c’est trop atroce et impensable. C’est trop. Depuis des jours mon cerveau fume, mon cœur se serre, ces foutues glandes lacrymales turbinent à plein régime et j’ai le sentiment d’étouffer.

Charlie Hebdo a beaucoup compté pour moi. Au lycée, j’ai commencé à le lire avec un camarade qui était le poète rebelle de la bande. Il le lisait à haute voix, l’œil malicieux et le sourire en coin, assis dans le couloir en parquet ciré pour notre ami Romain qui était malvoyant. Ce canard a contribué à constituer ma conscience politique et mon goût pour l’outrance. J’y découvre l’amour de Cavanna pour la langue, Val et ses textes engagés, les chroniques de Renaud, les éclairages économiques d’Oncle Bernard, et bien sûr les dessins : Charb, Tignous (que je connaissais de Casus Belli), Wolinski, Cabu (que j’avais vu petit dans Récré A2 avec Dorothée), Lefred-Thouron, Siné. Ma mère me voit le lire un soir, elle me dit que ça s’est assagi depuis Hara-Kiri qu’elle lisait en cachette à mon âge. Les couvertures et les contenus étaient beaucoup plus trash pour l’époque.

Avec Charlie, en quelques grandes pages, j’aiguise mon regard critique, j’essaie de me marrer de tout, j’en apprends sur l’histoire politique française. Un temps, Charlie me conforte dans un athéisme militant qui met sur le même plan les monothéismes classiques et la secte du Mandarom : sous le folklore foutraque des religions du Livre comme on dit pudiquement, je ne vois que du pouvoir déguisé, des cultes mortifères qui vivent dans la crainte du jugement divin, le rejet des autres. Dans leurs histoires respectives, je ne vois que haine, tortures, guerres et rivières de sang.

J’avais perdu la foi quelques années avant face à l’absurdité de la guerre dans les Balkans, où les entrepreneurs politiques ont investi le champ religieux et inversement car c’est un marqueur social et culturel facile à activer. La question de Dieu a été vite réglée pour moi : son existence pose plus de question qu’elle n’apporte de réponse et de toute façon je n’ai pas besoin de béquilles métaphysiques, je suis prêt à vivre dans un monde vide de GO et vide de sens.

En milieu d’année de lycée, je contribue au canard du bahut, Vos gueules les mouettes. Deux textes, une critique de film, et un crobard. Pas terrible, le crobard en question. Et en plus, je l’ai un peu piqué à Riss et personne ne s’en est aperçu à l’époque (Laurent, mille pardon, mille mercis, et soigne ton épaule). C’est mon premier contact avec un organe de presse en tant que contributeur.

En prépa, je suis un des rares à lire ouvertement Charlie entre deux cours ou en attendant une khôlle, j’ai droit à des sourires amusés du prof d’économie, historien de l’UNEF et marxiste discret. Il y a des débats houleux et deux camps s’affrontent en s’invectivant : réacs contre gauchiss’. C’est une période où les Guignols de l’info jouent un rôle important dans le paysage politique, le Chirac mangeur de pommes a été élu après avoir attendu « putain, deux ans ! » et on s’interroge sur le rôle de la caricature, même en cours avec les profs. Je découvre le duo Font et Val, le roi des cons, Villa mon cul, les faux discours politiques. Je lis aussi Jalons avec Basile de Koch et Karl Zéro, ainsi que leurs pastiches mais ça me fait moins rire. Je préfère la paillardise gauloise.

En 1997, je défile avec d’autres à l’appel de Charlie Hebdo contre les dépenses publiques effectuées pour accueillir Jean-Paul II et ses Journées Mondiales de la Jeunesse. Je me retrouve à côté de « cathos laïcs » et je ris de bon cœur durant tout le cortège avec eux.

La même année, je participe avec des camarades à L’Hebdo, une émission politique de Michel Field sur Canal+. Placé en début d’émission derrière Samuel Maréchal qui dirige à l’époque le FNJ, je jubile de pouvoir citer au micro, Charlie à la main, les traités internationaux signés par la France qui interdisent les partis politiques prônant une préférence fondée sur le sexe, la religion ou la nationalité : le FN devrait être interdit ! Je n’ai pas le sens de la formule à l’époque. Je m’en suis voulu sur le chemin retour de ne pas avoir tendu un doigt accusateur pour cracher au visage des candidats : soit vous n’avez aucun courage politique et vous ne méritez pas qu’on aille voter, soit vous êtes complices et c’est pire. Le lundi suivant, j’ai droit à des sourires et des bravos de la part de profs que je connais à peine. J’ai 20 ans, je ne suis pas un héros et je ne suis pas Balavoine face à Mitterrand, mais j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose d’utile.

Je poursuis mes études, je continue à lire Charlie Hebdo, Fluide Glacial et son petit frère turbulent Psikopat, et régulièrement le Canard Enchaîné où je découvre le trait superbe d’Honoré. C’est le journal que mon grand-père maternel me demandait de lui rapporter depuis qu’il ne pouvait plus marcher ou rouler à vélo : nés la même année, jamais d’accord, jamais content, moqueurs sans être méchants.

Avec mon ami que l’on surnomme le Colonel, on conçoit un soir de beuverie de lancer un contre-journal de l’école. Celui-ci, baptisé l’Escroc, est lourd, pas très drôle, consensuel et on le soupçonne d’être relu par l’administration. On part sur la maquette du Canard, et là encore c’est moi qui me charge du crobard.

Avec des moyens ridicules et quelques ramettes de papier, nous faisons la maquette du Cafard Acharné avec édito, mur du çon et autres carnets de la comtesse. On a nos sources, un ton, plusieurs pseudos chacun et on prépare 500 exemplaires d’un 4 feuilles distribué en loucedé dans les casiers individuels des camarades. Mais on se fait coiffer au poteau la veille par un autre trublion, le Truand. On mettra 15 jours à trouver l’unique auteur et à fusionner nos deux « rédactions » pour sortir « Parce Que, le premier torche-cul au format de poche ».

Le temps a passé. Philippe Val s’est montré psychorigide, allergique à Internet, carrément con et plus drôle du tout. Le 11 septembre 2001 est passé par là. Le 21 avril 2002 également. Je n’achète plus Charlie que sporadiquement. En 2008, l’affaire Siné finit de me dégoûter des luttes intestines. Petit à petit, Charlie devient pour moi un repère de vieux cons phallocrates qui ont perdu le contact avec le monde, les questions de société. Je n’y vois qu’un tas de vieux hommes blancs, avec quelques très rares exceptions. Je n’ai plus suivi les évolutions de l’hebdo, les arrivées et départs. Je gardais le souvenir de la provocation et le goût d’une liberté absolue.

Je continuais à écouter et lire Bernard Maris, d’apprécier le style de Luz ici et là, mais Wolinski et beaucoup d’autres me sont devenus aussi étrangers que le vieux grand-oncle anar de droite qui vocifère et fait des grivoiseries en se pensant irrévérencieux alors qu’il n’est plus que grossier. On ne va pas se mentir, je n’étais plus Charlie.

Et j’en étais resté là.

* * *

Mercredi midi, une collègue annonce une fusillade à Charlie Hebdo. « Heiiiiin, y’a des morts ! » crie-t-elle, interdite. Sensation d’angoisse. Non. Non non non. Des noms fusent dans l’open space. Navigateur, onglet, Twitter, Facebook, France Info. Boule dans la gorge. Yeux qui piquent. La transpiration, sans doute.

C’est l’horreur. Un à un les noms tombent comme à Gravelotte. Charb. Cabu. Wolinski. Maris. Honoré. Les flics. L’agent. Je ne tiens pas. Je sors prendre un café et pleurer au calme. C’est pas possible. Ça devait arriver. C’est dégueulasse. Mais non ça ne peut pas arriver t’es à Paris sombre crétin. Si. Si, c’est arrivé. C’est le grand 8 émotionnel. J’explique à des collègues plus jeunes pourquoi Hara-Kiri, pourquoi Charlie, d’où vient le nom, qui étaient ces gens, je montre sur Google des couvertures.

Jusqu’au soir il y a une ambiance pesante. Je n’appelle plus dans les rédactions. Je n’ose pas. Le sentiment, comme pour le 11 septembre 2001, c’est qu’il se passe quelque chose d’inédit, d’irréversible, d’énorme. Et les salauds sont toujours en cavale. Le temps s’arrête, je n’arrive pas vraiment à travailler. La concentration brève et intense est possible, mais voir loin ne l’est plus. Tout mon horizon s’emplit de Je suis Charlie. Je fais pareil sur Facebook. Oui, je réfléchis, oui, j’ai une histoire personnelle avec Charlie. Oui, je suis Charlie. Sur Twitter, je change de couleur. Depuis le début, c’est la deuxième fois que je le fais. La première fois c’était pour le Printemps Arabe.

Le soir, vers 19h30, je pars avec des collègues rejoindre la place de la République. On finit à pieds car le métro ne s’arrête pas à la station République. Du monde reflue déjà, mais la place est encore pleine, et les gens continuent d’arriver. Je ne pourrai jamais la traverser pour rejoindre une amie, alors je suis mes collègues pour en rejoindre un autre, dans un bar près du canal. Je pense à feu Owni. Je pense à Libé. Tous ces emmerdeurs notoires dans le même quartier. Un signe ?

On retrouve Paolo, on boit. On parle. On raconte. Je fais une mauvaise blague sur l’alcool, arme contre l’islamisme. Oui, c’est de mauvais goût. Donc c’est dans le ton. La soirée continue, je rentre à pieds, je retrouve d’autres amis. Chez nous, on boit à la mémoire des défunts. Alors avec 12 morts, on peut le dire, j’ai sacrément célébré leur mémoire. Ivre-mort, je finis par éclater en sanglots une fois rentré chez moi et seul. Les grandes eaux. Les tremblements. J’ai peur. J’ai mal.

Le lendemain, pas frais du tout, je trouve l’atmosphère lourde dans le métro. Au bureau également. On parle, on voit les hommages, les dessins, on voir Je suis Charlie partout. Durant la minute de silence, un collègue éclate en sanglots en allumant une bougie. Les mines sont grises. Il s’en trouve quand même un qui demande si on a fait une photo du rassemblement. Il me vient immédiatement un « on va communiquer sur ça ? » qui clôt la discussion et me vaut des approbations discrètes : jeunes et moins jeunes, on se sent tous touchés.

Vendredi est une journée folle. Le plan Vigipirate est toujours au plus haut. Des hommes lourdement armés sont en faction devant les médias et certaines cibles. La cavale continue et fait encore des morts. En début d’après-midi, on apprend qu’une prise d’otage a lieu dans une supérette kasher porte de Vincennes. Je deviens blanc, je vois des images sur Twitter du déploiement de police. Vite, envoyer un SMS. Mes parents sont dans le train, ils ne sont pas encore arrivés dans ce quartier qu’ils habitent. Je pars en rendez-vous avec l’image très nette : c’est à 200m de là où j’ai vécu avec eux.

En pleine réunion, ma famille de l’étranger appelle, inquiète : elle a vu les images à la télévision et reconnu les rues. On est vivants. Tout va bien. C’est compliqué, je te laisse. Oui, je travaille. Oui, justement, sur le sujet de Charlie. Je te rappelle.

Et puis l’assaut. La fin du cauchemar. Des images hypnotiques. De l’amertume. Des larmes.

Charlie va-t-il mourir ? C’est allé trop vite. J’ai peur. La réaction de mercredi soir était simple et belle, là tout part dans tous les sens. Je ne suis pas optimiste. J’ai une atroce pensée rationnelle, façon DRH glacial : on ne remplace pas tout ce monde-là et toute cette expérience-là d’un coup. C’est un état-major qui est décapité et qui avait stratifié des décennies d’expérience.

Charlie Hebdo est peut-être mort. Tout le fatras que je vois, l’union sacrée, les cérémonies, c’est comme les tuer une seconde fois et je ne vois pas comment éviter ça. Quand j’entends des appels solennels, je me dis qu’on n’a vraiment rien compris. J’ai la nausée. Permanente. Il me vient l’envie de crier comme Hara-Kiri pour son dernier numéro : allez tous vous faire enculer, et puis je me dis que c’est dommage de considérer ça comme une punition. J’ai envie de hurler bande de cons dimanche, en montrant mes fesses sur la place de la Nation. Ça, ça les ferait marrer. Un truc de sale gosse. J’ai envie de porter une kippa et de me foutre de la gueule de mes copains d’enfance aux noms séfarades et ashkénazes pour mieux pleurer les morts avec eux après. Au fond, j’ai envie de dire avec calme et détermination que la seule violence de Charlie c’est le crayon et les mots qui la portent.

Cette semaine est folle. La France est folle. Ça parle trop. J’ai besoin de silence.

* * *

On est le lendemain. J’ai dormi longuement. C’est inhabituel. Des idées viennent, en vrac. Je n’en note que quelques-unes car je n’ai pas toujours de lien logique, parce que ce n’est pas un pamphlet ou une tribune. Il faut juste que ça sorte.

Être digne, ça ne se clame pas, ça se fait. Les grandes douleurs sont muettes. Respectez ça.

Dimanche je ne défilerai pas aux côtés des officiels plus ou moins douteux, des partis, des syndicats. Se compter ? Se choisir des slogans ? Se montrer ? Mes pieds, mes yeux, mes mains ont fait leur job mercredi soir, merci pour eux. Dimanche, ce sera trop tard.

J’ai changé ma photo sur certains médias sociaux, sur l’un d’eux j’ai choisi « Je suis Charlie ». Oui, je pense aux flics, aux victimes de l’Hyper Cacher pour qui je suis allé lever le poing ce matin. Mais je reste libre d’afficher ma douleur, mon soutien.

Charlie Hebdo est un ovni médiatique, il n’y a pas d’équivalent dans le monde. La liberté d’expression et de la presse s’est construite contre la religion à partir de la loi de 1905. Ce cas est unique et explique en partie le ton du journal.

Je me sens un peu piteux de ne pas avoir été Charlie. Je ne le lisais plus. Je n’ai pas répondu aux appels aux dons ou aux abonnements alors que j’avais les moyens de le faire. On peut ne pas être d’accord mais être là quand ça ne va pas. Dans mes larmes aujourd’hui, il y a aussi des regrets et, quelque part, de la culpabilité, ce sont des sentiments que je ne gère pas bien.

La France n’est pas en guerre. La guerre, c’est le conflit armé entre États, et ça se déclare. Le terrorisme c’est la réponse du fou au fort, c’est la liquidité de l’adversaire : pas de territoire, pas de forces officielles, tous les coups sont permis surtout les plus lâches, rien n’est prévisible.

Quand il y a des morts, il y a des charognards. C’est mathématique. Les récupérations politiques, les conneries de N’a qu’un Œil sur Charles Martel, la tentative de vendre des goodies « Je suis Charlie », les justifications, les prises de position morales d’autorités autorisées. Il n’a pas fallu longtemps pour que Nicolas Dupont-Aignan réclame plus de sécurité, pour que Christine Boutin charge Christiane Taubira, pour que l’idée d’un Patriot Act commence à faire son chemin. C’est à vomir. La moutarde, ça se mange avec la viande froide et là les cadavres sont encore chauds. Je vais le dire franchement : non, tout le monde n’est pas Charlie.

Charlie ne défendait pas la liberté. Les gens qui bossaient dans ce journal la pratiquaient. C’est une nuance de taille. C’est une forme d’exigence différente. Supérieure. Une preuve par l’exemple. On est plus proche de Diogène que d’Aristote. L’école cynique, l’école des chiens, c’est celle des chiens fous qui hurlent et qui mordent la main qui les nourrit. C’est pas de la haine contre cette main-là. C’est un signe. Un symbole. Un principe. Une leçon.

La République et sa démocratie représentative ne sont qu’un avatar de la démocratie. Il y a d’autres moyens de penser la participation de chacun. Qu’on arrête de nous emmerder avec les valeurs républicaines. La tradition n’est pas une valeur ni un argument en soi.

Certains ont célébré des messes, d’autres ont chanté des Marseillaises. Des marches organisées par des personnalités politiques. Pour les gens de Charlie et les autres victimes. Vraiment ? Pouvions-nous trouver MOINS approprié ?

J’ai été touché par les gestes de solidarité des médias, les hommages de Corbier, Karl Zéro et de tant d’autres, les gestes improbables comme Arnold Schwarzenegger s’abonnant à Charlie Hebdo. J’ai aimé voir les Je suis Charlie qui ont fleuri partout, d’Axel Springer à Vélib en passant par l’AFNIC. Si on demande où est Charlie, on peut répondre depuis quelques jours qu’il est partout.

Bien sûr, les polémiques ont commencé quelques heures à peine après le drame à Charlie Hebdo. Théories du complot, récupérations politiques. Oui, il y a des cons qui n’ont pas voulu respecter la minute de silence dans les écoles et c’est un problème. Oui, il y a eu une multiplication des actes anti-musulmans dans ce même laps de temps. Et non, ce n’est pas de l’islamophobie : ces gens-là n’ont pas peur de l’Islam mais de la haine contre l’Islam, c’est de la bêtise. Non, les musulmans n’ont pas à se surjustifier et on n’a pas à leur réclamer un soutien inconditionnel ou quoi que ce soit. Tout ça est problématique et pose des questions de société, certes. Je n’ai pas de réponses, j’ai beaucoup de questions.

Il faut continuer à rire et à être impertinent. J’ai aimé le dessin de Louison, le live-tweet de TexasSerenade, les dessins malins ou mignons. Depuis mercredi j’en ai stocké des dizaines et je ne suis pas sûr de pouvoir tout exploiter, voire même de le faire tout court.

Robert Badinter a raison de nous dire que le terrorisme nous pose un piège politique et moral. Si on se radicalise, si on stigmatise, si on sécurise, si on pétoche : ils ont gagné. La justice expéditive, la peine de mort rétablie, la torture, la vengeance : ils ont gagné. Ils allument la haine ? Semons la paix, la fraternité, la tolérance. Qu’on se rappelle les mots du premier Ministre norvégien Jens Stoltenberg après l’effroyable tuerie d’Utoya.

Amis, connaissances, inconnus, si vous n’êtes pas Charlie, je m’en fous. Mais ne vomissez pas d’un air supérieur des « Je ne suis pas Charlie » dans vos blogs et sur Facebook. On s’en fout. Et ne commencez pas avec les théories de la conspiration, les « et ça personne n’en parle ». On parle trop. Vous parlez tous trop. Faites quelque chose. Écrivez. Dessinez. Parlez à vos voisins. Aux inconnus dans la rue. Lancez un journal. Lisez des bouquins. Prenez le temps de réfléchir à froid. Bougez-vous le cul mais sans en faire des tonnes pour le faire savoir.

Les dons affluent, Charlie sera de sortie mercredi 14, tiré à 1 million d’exemplaires. Mais est-ce que ce sera Charlie ? Je ne sais pas. Le récit de la conférence de rédaction et l’humour noir, la dérision, le rire malgré tout me donnent de l’espoir.

Qu’on ne vienne pas me faire chier avec le respect des religions, qui masque bien souvent la peur des religions. Une religion qui ne supporte par la critique et la satire est une religion bien fragile.

Les médias ont joué un rôle ambigu, les chaînes d’information en continu en particulier. Il y a de nombreuses questions déontologiques qu’il va falloir se poser et y répondre, notamment sur l’image à tout prix qui gène le travail des forces de sécurité et d’intervention, les noms jetés si vite en pâture au public, la prise de recul.

Les religions n’ont pas fait que tuer au fil des siècles, elles ont aussi justifié l’injustifiable, entretenu la haine et l’asservissement des femmes, été complices ou acteur principal du pouvoir. Être résolument contre n’est pas plus idiot que d’en choisir une. J’ai retenu un principe simple lors de mes conversations avec Henri Pena-Ruiz lors des réflexions de la commission Stasi. Il n’y a que trois options religieuses possibles : croire, douter (agnosticisme), être sûr qu’il n’y a rien (athéisme). Le reste, c’est du code Pantone. J’ai fait mon choix. Et non, l’athéisme n’est pas une religion, ou alors OFF est une chaîne de télé.

Dimanche, j’ai envie de penser à la pauvre Coco qui a dû ouvrir aux frères Kouachi, à Luz si lucide et sa pétillante compagne Camille, à Maryse Wolinski si amoureuse, à Jeannette Bougrab qui dit parfois aussi des bêtises, à Patrick Pelloux au rire si clair et fort et que j’ai vu démoli mais digne sur les plateaux TV, à Willem qui continue de gueuler et qui a raison, aux victimes, à leurs familles, aux anciens de Charlie, à Lilian et Lassana les héros discrets, aux gens qu’on a voulu tuer porte de Vincennes parce qu’ils étaient juifs dans un quartier où la religion n’a jamais été un problème depuis plus de 30 ans que j’y habite, aux copains de Libération qui accueillent Charlie et c’est hélas toujours pour de mauvaises raisons… Tous ces gens sont Charlie. Charlie est désormais un symbole, celui du refus de la violence et des cons. Charlie, c’est le clan du rire, de l’insoumission et de l’espoir.

Dimanche, j’attendrai peut-être la parade depuis la place de la Nation, en levant le coude ou en faisant un bras d’honneur, en chialant ou en riant. Je serai peut-être devant des écrans.

Je serai peut-être ailleurs. Dans ma tête. Physiquement.

Mais je serai Charlie.

8 Réponses

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  1. Odile Tardieux Dardenne said, on 10 janvier 2015 at 7:33

    Je suis allée au meeting #JeSuisCharlie à Lisbonne jeudi soir, je suis arrivée à Orly ce matin et ai assisté à une baston raciste, je n’irai pas à la manif demain, j’ai pleuré (et enragé) en lisant ton post, et je vais continuer de lire, d’ écouter, d’ aimer, de penser, de dessiner, de réfléchir, d’être curieuse, d’ essayer de regarder les autres et autour de moi….. Merci pour ces mots.

  2. Lauren said, on 10 janvier 2015 at 8:32

    Merci.
    Merci pour ce récit des origines qui replace le magazine dans son histoire et l’histoire de ses lecteurs, dont j’avoue ne connaître aucune. Je pèche par ma jeunesse post-2001, qui me permet paradoxalement d’apprécier cette chronologie personnelle, cette construction d’une identité sur des décennies et dont les briques peuvent être soufflées en quelques minutes. Ma génération, en cours de fabrication dans le chaos d’Internet et des réseaux, sera-t-elle capable de pleurer sincèrement un drame populaire car chacun se sentira blessé ? On verra.

    Je voudrais juste, même si tu insistes pour qu’on ne vienne pas te faire chier avec, sur « le respect des religions, qui masque bien souvent la peur des religions ». C’est vrai. Mais il existe aussi le respect des religions tel que, athée, je le pratique : c’est le respect du sacré. Voilà qui est difficile à trouver aujourd’hui. La vie n’était plus sacrée pour ces fanatiques ; la liberté de la presse est sacralisée au lieu d’être libérée ; et les valeurs républicaines ne sont rien d’autre que du sacré laïc que, étrangement, personne n’ose ouvertement ridiculiser.
    Bien sûr, la satire a une fonction déterminante dans le corps social et politique, et commencer à délimiter la frontière entre le poil à gratter et l’insulte ouvre une brèche dangereuse dans la liberté d’expression. Mais si c’est un droit de se moquer de tout de n’importe quelle façon, n’est-ce pas aussi un droit d’obtenir le respect pour ce qui, dépassant le concret, le rationnel, l’humain, est sacré aux yeux de quelqu’un ?

    J’ai peur que l’après-Charlie Hebdo donne licence totale non pas à l’irrévérence que tu appelles, mais à l’irrespect voire à l’ignorance.

  3. […] S’autoriser quelques retweets, parce qu’ils touchaient vraient juste, et des liens vers ceux qui ont eu le talent de déjà coucher par écrit ce qui me brûle le ventre. Attendre surtout que […]

  4. […] S’autoriser quelques retweets, parce qu’ils touchaient vraiment juste, et des liens vers ceux qui ont eu le talent de déjà coucher par écrit ce qui me brûle le ventre. Attendre surtout que […]

  5. Tamala75 aka Séverine Godet said, on 11 janvier 2015 at 6:41

    Merci, putain, et merde aux cons.

  6. Did said, on 12 janvier 2015 at 6:37

    on traite beaucoup les gens de cons par ici quand même… ça donne à réfléchir sur cette fameuse liberté d’expression

  7. Le Truand said, on 1 juillet 2015 at 12:02

    Bonjour à tous,

    Merci Enikao, ce billet transpire l’émotion et voilà que les larmes retoquent à ma porte.

    Je n’ai jamais été un lecteur de Charlie Hebdo, ben non, je ne suis pas un de ces marginaux révolutionnaires qui préfèrent lever le poing alors qu’il faudrait mettre la main à la pâte ! Je m’en veux aujourd’hui de ne pas avoir saisi plus tôt la dimension symbolique de ce canard…

    Lecteur ou pas, croyant ou non, coco ou facho, j’ai envie d’affirmer que cela importe peu, une personne normalement constituée ne peut qu’être affectée par une telle tuerie.

    Je serai moins acerbe que toi au sujet des récupérations politiques. Je ne peux nier l’évidence, il y en a, mais elles peuvent tout de même être sincères…je préfère le croire.

    Amitiés

  8. […] Il y a pile un an, sous le choc des événements sanglants et juste après avoir écrit ce billet viscéral, la seule musique qu’il m’était possible d’écouter, c’était Nothing has […]


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