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Innovation et usage : le match sans fin

Posted in Ф - Nutek, Ш - Sochol, Ө - Hitek by [ Enikao ] on 1 avril 2009

L’innovation technologique, la science, le progrès… tout cela semble porter l’humanité vers l’avant : certains gestes deviennent plus pratiques, moins pénibles, plus accessibles, plus rapides. C’est vrai la plupart du temps. Parfois, le savoir-faire a disparu ou a été abandonné : que l’on songe au chauffage par le sol ou à l’adduction d’eau des romains pour prendre des exemples forts sur le confort. Parfois, on assiste à une course en avant pour réaliser un vieux rêve, un défi, et une fois qu’il est atteint on s’en détourne comme Dom Juan une fois qu’il conquis le cœur d’une femme : finalement la quête valait mieux que l’objectif.

Oui, nous sommes capricieux. Nous ne savons pas ce que nous voulons. Et quand nous disons ce que nous voulons, et bien en fait nous mentons.

Deux actualités ont rejoint des rêves d’enfant pour montrer qu’ils étaient de l’ordre du pur fantasme. Des rêves probablement communs à toute une génération, celle qui a regardé Star Trek et qui trouvait formidable l’appareil qui permettait de communiquer à distance tout en se voyant.

En réalité, deux technologies sont prêtes mais ne décollent pas.

La visiophonie a été présentée comme un moyen de communiquer plus sympathique, plus convivial, plus personnel, voire plus fun. SFR en avait même fait un fer de lance de ses offres dès le lancement de ses offres en 2004 en proposant des forfaits adaptés, incluant un temps donné de visiophonie. Les constructeurs de terminaux ont eu aussi dû s’adapter et proposer des appareils dotés de deux objectifs : un pour prendre des photos numériques depuis le portable, un pour la visiophonie.

Sauf que… Pour utiliser la visiophonie, il faut vérifier que mon interlocuteur est équipé d’un téléphone qui le permet, qu’il est bel et bien en zone de couverture 3G (ce qui excluait Bouygues Télécom au départ, cet opérateur ne l’ayant adopté qu’à l’été 2006) et qu’il dispose d’un forfait qui inclut ce type de prestation ou qui le permette en facturation hors forfait (à ce jour, 5 millions potentiels tous opérateurs confondus en France selon le site de SFR).

Une fois que toutes le conditions sont remplies, il faut aussi garder le téléphone bien en face, bien cadré, ce qui en public donne un spectacle plutôt étrange puisqu’on se retrouve avec le téléphone plus ou moins à bout de bras pour éviter de montrer à l’interlocuteur nos fosses nasales.Si, amoureux transi cherchant des yeux sa moitié ou fier parent souhaitant absolument montrer sa progéniture à l’écran, on doit faire ce genre d’exercice, on le fera de préférence chez soi. Auquel cas on a tendance à préférer MSN ou Skype avec une webcam, un périphérique abordable couplé avec un service qui s’avère… gratuit. Deuxième écueil.

Par curiosité, j’ai essayé la visiophonie. Deux fois, pour voir ce que l’expérience peut apporter. L’intérêt est très limité : la résolution de l’image est plutôt moyenne et pour peu que l’on soit à contre-jour on se déguise aussitôt en ombre chinoise. Et quitte à montrer ce qui m’entoure, j’ai préféré rapidement envoyer des photos par courrier électronique ou en MMS directement depuis le mobile. Pire, on perd les petits hypocrisies du téléphone sans image qui font le charme des relations sociales : je suis là dans 2 minutes ! alors qu’on est manifestement bien plus loin que ça, ou bien encore je rentre plus tard j »ai beaucoup de boulot alors qu’on s’apprête à rentre dans un pub bondé.

Autre technologie qui semble cafouiller : la télévision mobile personnelle, ou TMP. Bien déployée au Japon et en Corée, les utilisateurs s’en détournent progressivement parce que les programmes proposés manquent d’originalité. Le modèle économique semble difficile à assurer et les chaines ne se bousculent pas pour faire partie des heureuses élues car la publicité ne sera peut-être pas au rendez-vous. Pendant ce temps, la télévision mobile progresse grâce à la 3G dont le réseau est déjà établi…

Deux technologies qui ont fait progresser la technique mais ne sont pas adoptées, voilà qui ramène à l’utilisateur et à ses besoins : ceux qu’il exprime, et ce qu’il fait réellement quand on lui offre la possibilité. Parfois, il semble que l’on procède comme une check-list : c’est une bonne chose de faite, on a prouvé que l’on pouvait le faire mais ça ne nous amène pas grand chose. Comme la conquête d’un sommet, ou poser le pied sur la Lune. Il y a quelque chose de l’ordre de la primauté, du « je suis le premier à le faire », mais qui n’indique pas que c’est un mouvement de fond qui séduit tout le monde ou qui est adapté à tout le monde.

Quand on est dans l’évolution d’un produit ou d’un service destiné à un public assez large, tout bon directeur de la R&D suffisamment bien renseigné par les départements marketing et SAV rappellera une des lois d’airain : ajoutez autant de fonction que vous voulez, mais deux éléments sont rédhibitoires. L’ergonomie ou l’interface doivent être aussi naturels et simples que possibles (la caricature inverse s’est illustrée par exemple dans les années 80 avec les télécommandes à plus de 30 boutons de fonctions), et s’il manque une seule fonction de l’ancienne version on s’expose à un risque de mécontentement majeur de la part des utilisateurs. Cruel dilemme que la gestion de la simplexité, cette chimère qui veut que la complexité du fonctionnement et des options soit rendue aussi transparente que possible.

Pourtant il faut parfois savoir bousculer les habitudes quand on est dans une innovation de rupture. Récemment, Facebook a connu quelques déboires lors du passage à sa nouvelle version au point que Mark Zuckerberg a annoncé faire marche arrière et consulter davantage les utilisateurs pour améliorer l’interface, et, en somme « l’expérience utilisateur ». Ecouter les hyperconnectés qui voulaient plus de flux comme Twitter dans Facebook était-il une erreur ? Je le crois. Les geek font-ils mal au web ? S’ils ne sont pas les seuls à avoir de bonnes idées, on peut leur reconnaître une certaine créativité dans les usages technologiques, incongrus ou utiles.

A bien y regarder, l’idée de Robert Scoble présentée de manière un peu lapidaire (si Porsche écoutait ses clients, en particulier sur le confort et l’espace de l’habitacle, il fabriquerait des Volvo) est pourtant fondamentale : il ne faut pas toujours écouter ses utilisateurs car sinon on perd sa particularité, ce qui est dommageable pour son image de marque et l’attachement que lui porte son public déjà fidèle, et surtout, on ronronne ! L’innovation de rupture implique des changements de comportements de la part des clients. Un changement qu’il faut accompagner, qu’il faut préparer, et c’est peut-être là que Facebook a péché : faire une (mauvaise) surprise à tout le monde.

Pour passer d’enfant à adulte, il faut passer par un apprentissage, mais aussi par une phase de rébellion, une période d’introspection où l’on n’écoute pas grand monde. La maturation d’une idée et d’un produit vraiment innovant doit peut-etre suivre ce même processus. Si Apple avait écouté le marché de la téléphonie mobile, l’iPhone aurait une caméra vidéo, l’AppStore n’existerait pas, et la marque à la pomme n’aurait proposé qu’un téléphone tactile de plus dans les rayons, pour ne prendre que quelques faits saillants. A voir les chiffres de vente en France, la stratégie se révèle plutôt payante même si elle a été qualifiée de pédante.

L’utilisateur est important mais n’oublions pas qu’il ne peut pas se prononcer sur un usage tellement nouveau qu’il ne l’envisage qu’à peine.

(Ce sujet fait suite, en quelque sorte, à un précédent billet sur la distinction entre ce que nous voulons, ou du moins exprimons comme désir, et ce que nous faisons réellement. Il connaîtra sans doute une suite).

8 Réponses

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  1. ieifdc said, on 1 avril 2009 at 5:38

    Yep, on peut rajouter aussi deux autres éléments : l’image et la voix.
    L’image car la caméra et la lumière mettent rarement en valeur les interlocuteurs. Au premier abord cela n’a l’air de rien, mais cela peut amplifier les petites imperfections de la peau, un teint trop pale, un petit bouton mal place ou une coupure mal placée….
    Le micro quant à lui déforme la voix, et le brouhaha ambiant peut parasiter la communication. Conséquence, à moins de sortir d’un studio d’enregistrement ou d’être maquillé comme une voiture volée… peu de chance pour Monsieur-tout-le-monde d’être au top de sa forme tout à long de la journée….

  2. Olivier said, on 3 avril 2009 at 8:08

    L’image de Porsche et Volvo est très parlante. Ca me rappelle une autre parabole (j’ai oublié de qui) : « Si on dessine un cheval en groupe, on obtient un dromadaire. Chacun ayant sa vision, conserver la cohérence est difficile. »

  3. [ Enikao ] said, on 3 avril 2009 at 11:10

    @ieifdc : certes, mais j’étais moins intéressé par la partie purement cosmétique que par le côté pratique.

    @Olivier : c’est en effet un contre-argument aux thèses de James Surowiecki sur la sagesse des foules. Pour l’origine du dromadaire comme cheval dessiné par un comité / une commission, certains attribuent la citation à Vian, d’autres à Blanche ou encore Clémenceau. Les deux derniers semblent diablement crédibles. J’enquête.

  4. ieifdc said, on 3 avril 2009 at 2:22

    Il ne s’agit pas de cosmetique, enfin pas tout a fait. Mais d’image de soi. De soi même , de l’image que les autres nous perçoivent et que l’on pense qu’ils nous perçoivent.

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