[ Blok Not ] _.oO Kronik|Umeur|Ydés

Pas assez près de toi, Supernova

Posted in Uncategorized by [ Enikao ] on 29 juin 2018

Un beau matin, je suis allé me rendre à la porte de la radio Nova, peu après 7 heures. Et je sonne. Et là, JB le stagiaire avec sa bonne humeur et ses cheveux en bataille m’ouvre. Je passe devant la femme de ménage, je passe devant le studio duquel le Professeur Rollin et Edouard Baer (tout aussi ébouriffés je dois le dire, mais sans doute parce qu’ils sont ébouriffants) me jettent un œil interrogatif.

Je me présente comme Bruno d’Agen, Toutologue, avec un avis sur l’émission. Je laisse un texte que j’ai préparé et repars. Dans la journée, JB me rappelle et me propose une courte intervention téléphonique sur la base de cette chronique qui « a beaucoup fait rire Edouard » (c’est mon quart d’heure de gloire, laissez-le moi).

Et finalement ça n’a pas pu se faire, car il y a eu une semaine chargée. Je n’ai pas rappelé. Mais les matins, ou les soirs, dans les transports, je me laissais transporter par cette douce folie avec une alchimie improbable mais jamais écœurante.

On en veut plus. On n’en aura plus car l’émission s’achève.

Nos matins seront moins doux, moins fous, moins tout.

Edouard, j’ai envie de te dire : salut l’ami, on en aura connu des matins taquins, des folies passagères, des chansons berbères, des délocs qui se déloquent, des imitations approximatives et des phrases définitives.

Va te faire voir. Va te faire voir sur scène, va te faire voir sur les écrans. On sera là.

Et parce que ce texte me fait encore rire et qu’il avait (peut-être) vraiment sa place un matin dans cette émission, je me permets de le livrer dans son intégralité. En joie !

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La bonté et le courage en héritage

Posted in Ш - Sochol by [ Enikao ] on 17 juin 2018

Au bout de dizaines de kilomètres de piste sans asphalte, perché sur des collines de garrigue et de parcelles cerclées de pierres, un village sans eau ni électricité où tu nais, dans une famille pauvre d’une région pauvre, au fond d’un pays pas riche où ceux qui ont peu partagent avec ceux qui n’ont pas.

Une mère timide, souffreteuse, qui n’a jamais appris à lire mais qui donne tout avec une douceur infinie. Un père solide et bricoleur, né sous l’Archiduc des livres d’histoire, déporté pendant la guerre, éternel blagueur et chansonnier paysan.

Seul fils de la fratrie, tu as été l’héritier par défaut.

Il t’en a fallu, du courage, pour dire à 11 ans au patriarche que tu préférais quitter la campagne où, si parfois on avait faim, on n’avait qu’un pull vraiment chaud mais qu’on mouillait pour protéger les livres d’école de la pluie, tu étais choyé. Quitter la certitude pour aller à la ville, si loin, dormir dans des baraquements ouvriers pour pouvoir aller au collège, c’est grand quand on est encore si petit.

Tu finis des études d’électricité, et puis c’est l’heure du long service militaire, dix-huit mois à crapahuter et à gagner quelques permes grâce au concours de tir au pigeon. Il t’en a fallu du sang-froid, quand en 1968 vous vous entrainiez à la décontamination NBC après avoir vu les chars soviétiques entrer dans Prague. Prêts pour une guerre d’attrition et une résistance pied à pied, mourir pour la patrie et tout le toutim.

Mais le vaste monde te titille. Toute cette génération du baby boom s’ennuie et veut faire fortune à l’étranger. Sans parler un mot de cette langue difficile, avec 5$ en poche, tu pars chez Bibendum où ton honnêteté te rendra même suspect : un gars qui rend au contremaître l’enveloppe de la paie hebdomadaire d’un ouvrier lambda trouvée par terre n’est-il pas un espion industriel ? Paris t’appelle, car il est là le but : les Beaux Arts !  Blouse bleue le jour, blouse blanche tachée soir et week-end, en cours ou place du Tertre, pour gagner quelques sous et payer les tubes de couleur, les fusains. Jusqu’à ce qu’une jeune provinciale vienne en visite et s’éprenne. Tu l’épouseras peu de temps après. Oui, c’est du Amélie Poulain dans le texte.

Et puis me voilà. Il n’y en aura pas d’autre, alors toute l’attention se porte sur moi. Il t’en a fallu de la patience, avec ce gosse malade et d’une maigreur affolante. Tu l’as veillé, tu l’as porté jusque vers les sommets à l’air pur quand il était au bord de mourir étouffé. Tu l’as envoyé à la musique, chez les curés, apprendre les langues à l’étranger, tu lui as offert des livres et une encyclopédie gigantesque pour assouvir sa soif de savoir. Et puis tu troques la blouse bleue pour les costumes, les armoires électriques pour les salles de réunion, la pilosité faciale s’efface, et avec une volonté de fer tu quitteras définitivement Marlboro.

Il t’en a fallu des nerfs, pour supporter la guerre, à deux heures d’avion de Paris, à quelques kilomètres de chez toi. La capitale presque à portée de roquettes, un tiers du pays occupé, les lignes téléphoniques coupées… tu m’as emmené à mes premières manifs, place des Grands Hommes. Sans le savoir, on y a rencontré un futur Président et un futur Académicien.

Il t’en a fallu de la générosité pour me payer des cours, des études chères et longues que tu n’as pas eues, tout en mettant tes propres parents à l’abri du besoin et des dangers. Un matin, j’ai dû t’annoncer la mort inattendue du vieux chêne. L’enterrement fut plus épique qu’un film mélodramatique. Refoulés par les Casques Bleus à une frontière qu’on avait oubliée, des orages d’été qui obscurcissent le ciel et la foudre qui tombe, les incendies qui allument la crête des collines… et surtout cette haie d’honneur interminable, des centaines de personnes collées aux murets de pierre jusqu’à la petite chapelle surplombant la petite mare. Maman qui, contre l’avis de tous, et sans pouvoir communiquer avec sa belle-mère, a réussi à l’emmener aux obsèques après l’avoir rendue présentable. Tes sanglots qui éclatent. Ma main dans la tienne. Merde. C’est dur. La sensation de lignée et de passation de témoin est là et bien là.

Tu dis souvent que la différence entre toi et moi, c’est que tu es père et pas moi. Il y en a plein d’autres évidemment. Mais je te ressemble plus que tu ne crois. La curiosité, le sens esthétique, le goût des jeux de mots (on ne va pas se mentir, les tiens sont parfois approximatifs en français mais tu ne renonces jamais), une capacité à s’émerveiller, le goût des sciences, l’émotivité. Comme toi, je ne sais pas parler à cœur ouvert, ça ne vient pas facilement. Et puis, j’hérite aussi de toi une culture, une langue, un vécu incomparable.

Certes, j’ai grandi dans une forme d’insouciance et je n’ai pas cette volonté d’airain qui t’anime. Ce fut ta force face à l’adversité, alors que je n’ai pas vraiment eu à me battre. J’ai toujours eu de l’admiration pour ton parcours, tes accomplissements. Je ne sais pas si tu as été fier, parce que longtemps j’ai mal compris ton regard sur moi. Alors que tu as toujours été là pour moi, parfois maladroitement, mais d’une générosité sans pareille, malgré mes excès, malgré nos différences.

Alors que je suis dans une période de mue, ce que j’essaie de prendre de toi alors que ta vaillance se réduit, c’est le courage. Ce n’est pas du vampirisme, j’essaie de prendre modèle. Les idoles sont souvent fausses, les grandes figures remarquables sont presque toujours insupportables, c’est pourquoi je n’ai pas envie de copier. Laisse-moi simplement m’inspirer.

Bonne fête, mon père.

Comme tu es curieux, en France c’est le fabriquant de briquets Flaminaire qui a créé la fête des pères en 1949, pour des raisons totalement commerciales.