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Le succès du Sudoku, ou la victoire des analphabètes

Posted in ! - Boulchit, □ - Lotek, ♠ - Guemz by [ Enikao ] on 10 août 2010

Quel est le seul élément d’un journal papier que l’on peut lire et pratiquer partout dans le monde entier ? Pas la météo, car désolé du manque d’habitude, mais un soleil accompagné de la mention 50°F ne me dit pas si je dois prévoir de me couvrir ou non. Les titres, l’astrologie, les programmes TV, les résultats sportifs, la bourse non plus : en sanskrit, en russe ou en hébreu, c’est tout autant illisible pour qui ne pratique pas la langue en question.

Ne trichons pas plus, le titre de ce billet est explicite : il s’agit du Sudoku.

C’est un jeu à trous, comme les mots croisés ou les mots fléchés, utilisant des chiffres plutôt que des lettres. Des chiffres arabes, compréhensibles par tous, bien qu’ils soient d’origine indienne. C’est le grand avantage des mathématiques qui sont comprises partout où on écrit car elles sont normées dans leur écriture, même s’il se trouvera toujours quelques esprits chagrins pour trouver des contrexemples aussi rares que pénibles.

Le Sudoku ressemble à l’antique carré latin et aux carrés magiques : un tableau matriciel et des règles de non-cumul, un même nombre ne pouvant être présent qu’une fois dans la même ligne ou la même colonne pour le carré latin, ou une seule fois dans tout le tableau pour le carré magique.

Carré magique 9 X 9                                                          Carré latin d’ordre 6

Le Sudoku rajoute une couche de complexité en créant des régions où la règle de non-cumul s’applique. Ainsi, un chiffre ne peut apparaître qu’une fois par région, par ligne et par colonne. C’est le même principe que le « problème des officiers » posé par le mathématicien helvète Leonhard Euler.

La paternité réelle du Sudoku est disputée et controversée, l’architecte Howard Garns a publié un jeu baptisé Number Place dans Dell Pencil Puzzles and Word Games en 1979, mais le Sunday Times a retrouvé des ancêtres du jeu très proches dans le quotidien La France dès 1895 et dans Le Siècle en 1892.

Le véritable artisan du succès du Sudoku en Occident est Wayne Gould, un juge Néo-Zélandais installé à Hong-Kong pour sa retraite. Il découvrit dans une librairie japonaise une grille de Sudoku symétrique dans un magazine de jeux de réflexion édité par Nikoli, et le nom même définissait simplement la règle essentielle : Su Doku signifie « chiffre unique ». Il trouva le concept génial, mais surtout exportable car non soumis à la barrière linguistique. Wayne Gould s’est alors attelé à créer un algorithme générant automatiquement des grilles à trou et il proposa ensuite à plusieurs journaux britanniques son casse-tête. Le quotidien The Times publiera sa première grille le 12 novembre 2004.

En France, il semble que ce soit La Provence qui ait publié les les premières grilles quotidiennes de Sudoku au début de l’été 2005, rapidement d’autres quotidien lui ont emboîté le pas. Et depuis le succès ne s’est pas démenti. Hélas. Car le succès Sudoku est plutôt une mauvaise nouvelle.

  • Le Sudoku le plus répandu est trop standard : grille 9 par 9 en 9 régions (pour faire chic, on dira un ennéamino, forme de polyomino dont on connaît bien une autre variante : le domino), alors qu’il existe de très nombreuses variantes, en particulier dans des formes non symétriques et irrégulières.
  • Les réponses sont bêtement combinatoires, c’est un peu comme un Rubik’s Cube à plat. On mouline jusqu’à ce qu’on y arrive. Ou bien comme si on connaissait les caractères composant le code d’entrée d’une porte sécurisée et qu’on cherchait à remettre la solution dans l’ordre. Le champ des possibles est limité, on ne fait que piocher dedans. C’est pire que Mastermind car on n’est pas limité dans le nombre de tests possibles.
  • Qu’apprend-on une fois que l’on a fini un Sudoku ? Que découvre-t-on ? Rien. Au moins les mots croisés ou fléchés peuvent surprendre par la formulation des énigmes, ou faire découvrir de nouveaux mots. Eux sont bien plus nombreux, manipulables (conjugaison, nombre) alors que les chiffres sont immuables.
  • Peut-on partager sa passion pour le Sudoku ? Peut-on poser une colle à quelqu’un ? Ce serait monstrueusement pénible. Demander de l’aide revient à débloquer une situation technique en obligeant l’infortuné secouriste à reprendre toute la grille, alors qu’échanger sur une définition peut se faire isolément, ponctuellement. Le Sudoku est un plaisir solitaire et pressé comme le souligne ce match du Figaro.
  • Le pire de tout, c’est que le Sudoku peut donner le sentiment d’être un jeu intello, un truc bon pour les méninges. C’est une gymnastique mentale, certes, mais répétitive et fade. Cela permet peut-être de maintenir en forme ses capacités de déduction et d’analyse, mais ça n’est pas un beau jeu. C’est un jeu bourrin. Ca ressemble davantage à de la gonflette qui déforme plutôt qu’à l’entretien et au développement d’une musculature harmonieuse qui garantit un certain tonus.

A une époque où l’orthographe, la syntaxe et la grammaire sont en chute libre, quitte à passer pour un réactionnaire ou un croisé de la langue, il me semble que le Sudoku est un pis-aller qui donne l’impression de faire travailler ses méninges et peut procurer une forme de bonne conscience alors qu’il ne mérite pas vraiment cet engouement. Je le relèguerai bien dans un espace fermé. Pourtant, dans le train, au comptoir, sur les quotidiens… il s’en trouve toujours pour faire les malins avec leurs chiffres répétitifs.

Il ne s’agit pas d’opposer frontalement les chiffres et les lettres. Les chiffres aussi peuvent avoir leur attrait et même leur esthétique, pour peu qu’on en fasse un usage intelligent et créatif autant que récréatif. Ce n’est pas Vicnent, grand admirateur d’Euler, qui dira le contraire. Ce qui est encore le plus horripilant, c’est que dans le cadre de la prévention de cette maladie du grand âge qui nous effraie, Alzheimer, on va nous faire manger des kilomètres de Sudoku…

7 Réponses

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  1. […] This post was mentioned on Twitter by [Enikao] and Alexandre Léchenet, ownicrew. ownicrew said: #OwniCrew Le succès du Sudoku, ou la victoire des analphabètes http://bit.ly/aNORv2 […]

  2. Delphine Dumont said, on 10 août 2010 at 12:35

    Le sudoku est une gymnastique mentale et donc, toujours bonne à prendre. Il oblige à à prendre en compte des éléments dispersés et à en déduire des hypothèses qu’il faut vérifier attentivement. De plus, contrairement à bien d’autres jeux, les probabilités n’ont aucune importance ici.

    Bref, le sudoku, c’est bien si et seulement si (comme on dit en maths) il n’est que l’un des exercices mentaux que l’on pratique. Ne faire que des mots croisés (même en variant les auteurs) est aussi limité.

    Bref, achetez Télé 7 jeux. Non, je plaisante.

  3. Mox said, on 10 août 2010 at 12:38

    Voilà au moins des joueurs et des voyageurs que l’iphone n’aura pas….

  4. Hoà said, on 10 août 2010 at 12:49

    Comme disait le grand Thomas Goossens, tout problème qui peut être résolu de façon automatique (par un ordinateur) est peu intéressant.

  5. Vicnent said, on 25 août 2010 at 11:25

    je ne dis pas le contraire.

    bises !

  6. LunedeSable said, on 26 août 2010 at 8:00

    Mince, et moi qui me trouvait intelligente à jouer au Sudoku… C’est bien la peine de se prendre autant la tête sur un jeu aussi pauvre… ;)

  7. depannage informatique said, on 14 mars 2011 at 11:23

    Je trouve ce jeu excellent pour le mental et même s’il est très basique, nous n’avons pas forcement toutes les dispositions pour… ;-)


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