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Génération W3 – We

Posted in € - Ykonomix, ∞ - Toudoto, § - Midia, Ф - Nutek, Ш - Sochol by [ Enikao ] on 11 juin 2008

Premier épisode d’une probable trilogie annoncée , dédiée à ceux qui ont baigné tout jeunes dans la culture numérique. We : nous sommes. Nous voulons nous affirmer et nous sommes identitaires. Tâchons de trouver des comportements et attributs communs et significatifs pour décrire cette première caractéristique.

La jeune génération qui utilise massivement les nouvelles technologies et souhaite s’exprimer par tous les moyens est une génération de l’ego (en deux mots, SVP), qui s’affirme et s’annonce. C’est d’abord un individualisme, qui se traduit un certain rejet du collectif ou tout du moins une désillusion : la confiance de cette génération dans les instances représentatives (partis politiques) et les autorités (Etat, justice, police, religions) est particulièrement faible.

Première illustration flagrante de cet ego décomplexé : la quête de la célébrité, dont je n’arrive pas à savoir si elle est assumée et profondément volontaire, résultant d’un appel personnel vers une hypothétique gloire, ou si c’est une espèce de miroir aux alouettes que les médias nous vendent comme ils savent si bien le faire et auquel on adhère grâce au principe de base répétition = démonstration. Entre les castings devenus machine à fric et à rêve, les émissions de télé-mensonge (qu’on arrête avec télé-réalité : tout est mis en scène et tout le monde joue un rôle car il se sait épié), la presse people qui parle de célébrités qui seront connues le temps de quelques semaines, la valorisation du moi est à tous les étages. 

Deuxième illustration : l’illusion de la transparence. Rien n’est tabou, plus de pudeur, je me montre et je n’ai plus honte. Les émissions talk-show autour de thèmes de société, où de parfaits inconnus témoignent car concernés (ou impliqués) par le thème du jour, de Mireille Dumas à Jean-Luc Delarue, furent un premier avatar de cette envie de s’exprimer. Le voyeurisme des émissions mettant en scène des inconnus cherchant la célébrité mentionnées ci-dessus est venu par la suite confirmer cette motivation. On retrouve également cette transparence dans les blogs personnels, centrés sur la vie de l’auteur. Jadis carnets de bord et autres journaux intimes réservés aux yeux de l’auteur, ils s’étalent désormais aux yeux de tous, on y parle de choses tout à fait intimes et personnelles assez librement : sexualité, famille, problèmes conjugaux, doutes (pas toujours) métaphysiques. Transparence illusoire car toute expression est la conjugaison de facteurs qui vont censurer ou autocensurer, élaguer les circonstances et éléments de compréhension du contexte. Mais l’important n’est pas là, il faut que la lumière soit faite, c’est devenu un impératif. Bas les masques ! Allons voir dans les coulisses ! Cet appel à la transparence trouve d’ailleurs écho dans la sphère médiatique : on somme les entreprises de jouer la transparence, les politiciens à parler sans langue de bois, les intervenants à parler librement…

Troisième illustration : la personnalisation. La génération W3 est aussi celle des objets customizables et du tuning, qui va des chaussures à la décoration d’intérieur en passant par les voitures, et même… les romans. Il s’agit d’un moyen simple de montrer sa différence dans un monde industriel et normé, rendu possible par la prise de conscience des marques que le marché de l’égo constitue un potentiel important. Elles ont le savoir-faire et peuvent mettre en place les bons outils : à ce titre, la visualisation en direct des choix opérés sur le modélisateur en ligne d’une e-boutique est idéale.

Quatrième illustration : l’idéalisation du moi. Je est important, autant le soigner. La génération W3 est celle du coaching et du relooking, le rapport à soi n’existe qu’à travers le regard et le jugement de l’autre. Cela rejoint en partie la personnalisation dans le cas des avatars, sur les forums et blogs où le choix de l’image est un dilemme cornélien car elle va me représenter tout entier voire me résumer. Ceci est plus marqué encore pour les jeux en ligne et autres univers virtuels.

Cinquième illustration : l’identitarisme. C’est certainement un barbarisme mais tant pis, je n’en ai pas trouvé de mieux. J’appelle ainsi la recherche et surtout l’affirmation d’appartenances (le « s » a un sens) à des communautés qui sont des ensembles sans point commun. Il y a encore quelques années on parlait de « tribus » plus ou moins urbaines pour qualifier certains comportements et classer les gens dans des catégories. Bobo, DINK, Goth, soixante-huitards, punks, geeks, nerds, mais aussi métrosexuels, célibattantes, übersexuels… Si l’on accole à cela tout type d’identité complémentaire on obtient des profils très précis : âge, sexe, orientation sexuelle, origines, profession, lieu d’habitation, type d’habitat, courant culturel, choix politiques, options spirituelles (il n’y en a que 3 : croyant, agnostique, athée), choix religieux (là c’est plus vaste, du gnosticisme au polythéisme en passant par les monothéismes), type de consommation, goûts artistiques et culinaires, etc. Sans parler des caractéristiques physiques : handicapé, grand, couleur des yeux, particularités de santé… Je est plusieurs. Seul problème, tout cela est un empilement infini, qui de plus ne prend sens que par l’altérité. Face à mes amis africains je suis européen, face à mes amis italiens je suis français, face à la gent féminine je suis un homme, face à… c’est infini. Qui mieux que moi peut dire qui je suis ? Qui peut m’imposer mon identité ? Personne. Et la génération W3, il me semble, l’a compris. On parle de communautarisme, je crois qu’au contraire un changement s’est effectué : on appréhende plus naturellement la complexité de l’identité, même si nous n’en sommes pas encore à la fin des boîtes dans lesquelles on aimait tant ranger les gens. L’identité est un tas de tags qui prennent de l’importance selon ce que l’autre veut voir en premier. On peut donc me trouver par différents canaux, je peux être ancien de telle école, membre de telle association, militer ici, me comporter de telle manière, avoir telle particularité, et tout ça c’est moi. Les profils détaillés de certains réseaux sociaux comme Facebook le traduisent : les groupes auxquels j’appartiens sont autant de reflets de ma personnalité, et autant de revendications. Attention, ils sont déclaratifs, donc potentiellement mensongers aussi. Plus encore, ces facettes identitaires peuvent être contradictoires ou paradoxales. Catho libertin, bobo fashionista, geek sociable, notaire punk, j’en passe et des plus étonnants. Ce qui change n’est pas la réalité de cette identité complexe, mais la prise de conscience et l’affirmation de la multiplicité des je, ce qui rend le travail de communication et de marketing plus difficile dans la mesure où l’on ne sait jamais quel tag prévaut à un instant T…

Sixième illustration : la prise de parole. La génération W3 s’exprime spontanément et s’attend à être consultée, elle veut être entendue et donner son avis, elle participe. Les implications se retrouvent dans les débats sur l’éducation (faire participer les élèves pour intéresser), dans la vie sociale et économique (consultations, dialogue plus libre dans le monde professionnel, voire court-circuitage des pyramides hiérarchiques traditionnelles), dans les relations familiales, mais aussi de façon plus anecdotique comme les systèmes de notation (note2be, bonartisan et consorts) ou l’expression de ses pensées dans un blog. Une vision idéalisée de la démocratie où toutes les paroles et toutes les opinions se valent, sans hiérarchie qui rejoint l’injonction à la transparence par l’approche directe : tu me dois des comptes.

Nota : ce billet n’est pas définitif et peut être amené à changer ou à être complété. La vie est un processus.

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