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Les textes barrés sont schizophrènes

Posted in ∞ - Toudoto by [ Enikao ] on 20 février 2009

Les blogs sont plein d’habitudes, de règles tacites, on pourrait même parler de traditions bien que la pratique n’ait rien d’ancestrale. Ainsi, dans les commentaires il est de bon ton de préciser à qui l’on parle et l’on indique sougent cela par : @ Pseudonyme. Exception notable (mais probablement pas la seule) : Aliocha répond en gras juste sous le commentaire, ce qui recrée un rapport individuel entre l’auteur et les commentateurs (discussion bilatérale) alors qu’habituellement les commentaires sont une discussion qui peut être multipartite. Toutes ces façons de faire tiennent en même temps de la netiquette, cet ensemble de règles de bonne conduite qui ressemble  à une étiquette du web, et de pratiques qui facilitent la lecture.

Il est une pratique qui pourtant n’est pas tout à fait claire et dont l’usage dépend du choix de chacun : le texte barré. Comme ceci.

Ces usages se sont répandus pour apporter à l’écrit les nuances que l’on entend dans l’intonation à l’oral. Ainsi, pour insister par écrit sur un mot tout comme on l’accentuerait à l’oral, on peut le mettre en gras on en italique : il font différemment mais font-ils moins bien ? De même, il est communément acquis que lorsqu’on s’exprime EN MAJUSCULES, cela revient à hurler. C’est un peu rare car désagréable à lire mais on retrouve ce type de mise en forme dans les billets « coup de gueule » ou plus communément dans des commentaires virulents.

Tout cela sert à simplifier l’interprétation de l’écrit par les lecteurs, car l’écrit sèche terriblement les propos et l’ironie, le second degré, la colère, la lassitude ne sont pas toujours aisément décelable, qui plus est quand on ne connaît pas bien l’auteur.

Là où cela devient plus compliqué, c’est pour le texte barré. A l’origine, semble-t-il, ce type de mise en forme textuelle servait à indiquer les corrections de l’auteur. Un exemple sur ce billet de Francis Pisani qui corrige Chéquie (le pays des Chéquiers) en Tchéquie. Cela fait partie intégrante de la dynamique du web participatif, qui est une sorte de perpétuel work in progress (l’italique peut servir aussi à spécifier les locutions en langues autres que le français, par exemple) et qui effectue une grande part de la validation et de la vérification a posteriori, puisque le support n’est pas figé contrairement au papier. 

D’autres, afin de ne pas surcharger le texte, indiquent en fin de billet une information complémentaire bien identifiable, précédée par exemple d’un « Edit » ou de « Mise à jour« . Un exemple chez ReadWriteWeb France en fin de billet. Et puisque les billets d’un blog sont datés voire horodatés au moment de publication, certains vont jusqu’à préciser la date et l’heure de cette mise à jour. Cela peut avoir un sens si une contre-information ou une précision d’importance arrive dans un temps court (en moyenne, dans les 24 heures : au-delà on aura plutôt tendance à faire un nouveau billet).

J’ai choisi de ne pas suivre ces règles, et si l’envie me prend de modifier le texte je le fais comme bon me semble. Une idée complémentaire à développer, un lien à rajouter, une phrase alambiquée à reformuler, un élément inutile à supprimer : on retouche. Le billet de la semaine dernière n’est peut-être plus tout à fait le même cette semaine. Qu’importe, l’essentiel est que j’en sois toujours l’auteur et que le tout reste cohérent. Je ne vais pas jusqu’à revenir sur les éléments de fond, bien entendu, même si je me suis fourvoyé ou mal exprimé. Auquel cas je l’indique dans les commentaires voire fais un billet correctif. Et si quelqu’un fait une remarque en commentaire, je ne touche plus au texte mais lui réponds au même endroit (sauf éventuellement pour rajouter un lien que l’on m’aurait indiqué). 

Sauf que les textes barrés ont également une autre fonction bien différente de la correction. Ils servent à faire de l’ironie en jouant sur le lapsus assumé. Exemple chez Authueil qui suggère à mots couverts barrés que l’industrie du divertissement prend ses clients pour du gibier à rabattre vers des enclos bien gardés. C’est une manière de glisser quelque chose comme par hasard et par erreur alors que c’est totalement volontaire. Il s’agit d’un jeu de fausse pudeur qui permet de glisser en passant une opinion personnelle et qui est du ressort du propos faible, de l’aparté façon pique assassine.

Or si la même mise en forme peut indiquer de la même manière une erreur corrigée ou une fausse erreur qui porte en fait un message et du sens, comment distinguer celui que l’auteur a voulu employer sans avoir le contexte ? La mise en forme textuelle doit servir à aider la compréhension, or là elle la brouille. Seule la lecture fidèle permet de trancher. Peut-être même que certains blogueurs emploient alternativement les deux ? Voilà qui ne faciliterait pas la lecture ni la compréhension.

5 Réponses

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  1. laplumedaliocha said, on 20 février 2009 at 1:45

    Billet très intéressant, je me suis lontemps interrogée sur les mots barrés chez Eolas, y voyant souvent ce que vous appelez un « lapsus assumé », voire,pourquoi pas, un « lapsus délibéré ». En ce qui me concerne, j’utilise le mot barré exclusivement pour effectuer une correction apparente à la suite d’une erreur rectifiée par un lecteur ou que j’ai aperçue moi-même (hors fautes d’orthographe et de grammaire).Quant à mes réponses sous le commentaire, j’ai emprunté la pratique à Eolas qui, lui, répond en rouge. Le gras me choque un peu dans la mesure où il met trop en valeur la réponse par rapport au commentaire, mais il a le mérite de bien distinguer les textes, ce qui n’est pas le cas du recours à l’italique. J’ai adopté ce système par commodité, surtout pour répondre aux longs commentaires, c’est plus simple et plus rapide que de reprendre argument par argument. Cela étant, j’y vois un inconvénient : ça rompt artificiellement et a posteriori le raisonnement du commentateur. Pour l’instant, je n’ai pas trouvé mieux. Quant à bilatéraliser la relation, j’espère que cette bilatéralisation ne prend pas le pas sur la discussion générale mais s’y surajoute. En tout cas, c’est mon objectif.

  2. authueil said, on 20 février 2009 at 3:50

    Cette pratique du lapsus assumé permet de dire ce qu’on pense, de manière assez directe et crue, en signalant justement que c’est du sans-fard et qu’il y a du second degré à rechercher.

    En plus, des fois quand je fais des correctifs en barrant.

    J’assume parfaitement de ne pas faciliter la lecture pour les passants occasionnels. Je ne suis pas un média commercial, je m’en fous de la quantité de l’audience. Ce qui compte, c’est la qualité. Une bonne discussion en commentaire ne peut se faire qu’avec quelqu’un qui connait bien le blog, son tenancier et ses habitués.

  3. [ Enikao ] said, on 20 février 2009 at 4:55

    @ Aliocha : le risque de la fragmentation du raisonnement du commentataire, et de la discussion me semble réel. Après, c’est à voir avec l’usage et le temps.

    @ authueil : voilà, j’en tiens un qui adopte les deux pratiques ! :-) Le lapsus assumé est un outil puissant car on comprend bien la mécanique quand l’ironie est clairement identifiable (expression péjorative / expression convenue). C’est un moyen de donner du relief et de prendre posiiton avec humour, je suis tout à fait d’accord, et sur le reste… aussi !

  4. palpitt said, on 22 février 2009 at 11:23

    En même temps je me dis que l’ironie n’est jamais « clairement identifiable », c’est d’ailleurs pour cette raison que les outils d’analyse d’opinions ont tant de mal à être performants à ce niveau. En fait je vois plutôt le texte barré comme une trace du cheminement intellectuel de l’auteur, barrer un texte est toujours une façon de dire quelque chose à ses lecteurs, même Francis qui corrige « Chéquie » explique en fait « je vous montre comment je l’avais écrit et comment ça s’écrit en réalité, je vous montre que j’assume mon erreur et je me dis que vous aussi, chers lecteurs, vous hésiteriez », une façon de proposer un double niveau de lecture (est-ce que cela brouille la compréhension ? je ne sais pas, j’utilise plutôt les parenthèses pour l’ironie, perso). Finalement, comme l’explique Autheuil, on saisit rapidement les nuances lorsqu’on connaît les auteurs, tu as bien fait la différence entre les deux, toi ! ;-)

    ps : moi je fais plutôt comme toi, lis et relis, corrige mes billets même après publication sans forcément marquer la correction, sauf lorsque je souhaite bienvaloriser l’ajout en question ou le commentateur qui me signale une erreur

  5. […] difficile de distinguer l’ironie de l’erreur dans les textes barrés, mais justement leur schizophrénie les rend délicieusement ambigus et ce doute fait partie intégrante du texte lui-même. Alors que […]


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