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Wikipedia / CAC 40 : le faux débat

Posted in € - Ykonomix, ∞ - Toudoto, § - Midia, Δ - Nuz by [ Enikao ] on 12 juin 2008

L’agence Euro RSCG C&O s’est fait le porte-parole des entreprises du CAC 40, en s’émouvant de l’apparition à un haut niveau de page rank (indexation du moteur de recherche) de l’article qui leur est consacré dans Wikipedia à chaque recherche Google. Faisant le constat que Wikipedia est devenu « une source d’information majeure sur les entreprises » ou leurs dirigeants, Euro RSCG propose d’introduire le NDLE (note de l’entreprise) afin que « l’information [soit] complétée par les connaissances de l’entreprise ». Erreur sur le fond et sur la forme.

Sur les arguments avancés dans son communiqué, la critique est inappropriée parce qu’Euro RSCG estime que « Wikipedia suscite la polémique quant à la fiabilité et la véracité de ses informations ». Certes, on sait bien qu’il y a des erreurs persistantes et des opérations malveillantes, puisque l’encyclopédie en ligne est ouverte et collaborative. Mais la justification qui vient supporter cet argument n’est pas la bonne. Euro RSCG fait entrer en lice deux poids lourds : Nature et Encyclopedia Britannica, qui contiendraient moins d’erreurs que Wikipedia. Ce sont effectivement des références dans les domaines des sciences et sciences humaines, mais je n’ai pas vu Suez ou la BNP figurer dans ces deux parutions.

En faisant un peu de mauvais esprit, la proposition de NDLE me semble plutôt motivée par l’envie que l’information [soit] corrigée par les filtres des communicants de l’entreprise. La déclaration de David Monniaux de Wikimedia France chez Ecrans confirme mon intuition que de nombreuses agences ne savent pas se tenir. Celle de Pierre Beaudoin chez ZdNet souligne que les entreprises sont surtout réticentes à donner l’accès à des informations utiles et pertinentes qui pourraient être reprises correctement par les wikipédiens.

Benjamin Ferran note, dans son article sur l’Expansion, que les entreprises pratiquent déjà la « correction sauvage » (exemples ici), qui tient souvent du lifting sélectif, ce qui avait valu un tollé des wikipédiens dans le cas de la biographie améliorée du patron de Siemens. Euro RSCG n’y voyait que des interventions transparentes et parfois maladroites. Et le journaliste d’ajouter avec malice que l’outil Wikiscanner montre qu’à ce sujet, Euro RSCG n’est pas en reste…

Euro RSCG soutient la parole des grandes entreprises françaises, probablement parce que ce sont des clients actuels ou potentiels, et c’est bien naturel car c’est le métier d’une agence de communication corporate : défendre et promouvoir l’image institutionnelle d’une entreprise. Mais c’est là un mauvais combat.

Pourtant le diagnostic est assez lucide, noir sur blanc dans le communiqué : les individus ont de plus en plus confiance en leurs pairs et font de moins en moins confiance aux modes de communication traditionnels et institutionnels. Voilà qui replace en fait le problème de la crédibilité des entreprises ailleurs que sur  Wikipedia : les informations qu’elles diffusent n’apparaissent pas crédibles auprès de leurs publics (étudiants, salariés, actionnaires, simples curieux…). Sans m’attarder sur l’aspect « on nous cache tout on nous dit rien », l’incompréhension réside bien dans le verrouillage de la communication institutionnelle des entreprises. Un site web corporate ne sert (presque) à rien. C’est une vitrine, une brochure qui est la voix officielle de l’entreprise, qui ne dit que ce qu’elle veut bien dire, et c’est une communication à sens unique de l’émetteur vers le receveur sans feedback. C’est inutile mais il faut en avoir un, ne serait-ce que pour éviter le cyber squatting.

En dehors de chiffres (données financières, implantations, salariat, politique sociale), d’une partie de l’historique de l’entreprise (histoire, communiqués, témoignages de clients satisfaits, discours) et de certains engagements institutionnels (sponsoring, mécénat), je ne trouverai rien d’intéressant. Le discours y est calibré, policé, mesuré, sans aspérité, uniquement élogieux, il a nécessairement un parti pris. Pour un nouveau produit ou un service, j’aurai bien les caractéristiques techniques mais pas le comparatif avec les produits et services concurrents similaires, par exemple. Si l’entreprise ne vend pas en direct mais par des réseaux de revendeurs, je n’aurai que rarement les prix publics indicatifs. Plutôt que d’aller sur le site de Sony pour m’informer sur leur nouveau téléphone, j’irai voir les guides FNAC, les comparatifs de l’Ordinateur Individuel ou les avis des internautes sur Amazon.

Je ne trouverai pas sur le site corporate les critiques des clients mécontents, ou des salariés mécontents. On n’y trouve pas ce qui est négatif ou comparatif car l’entreprise n’y met que ce qui est valorisant pour elle. C’est normal, mais… ce n’est que très rarement ce que l’on cherche, sauf si on est investisseur (et encore) ou candidat (pour mieux connaître son futur employeur).

Si je cherche l’ensemble des expériences liées à cette entreprise, ses produits et services, j’aurai plus d’informations historiques sur Wikipedia (en particulier les points noirs de son histoire, mais aussi des références de livres qui lui sont consacrés, des articles récents). J’y trouverai ses principaux concurrents, des anecdotes, l’explication du logo, des liens vers d’autres sites utiles (fondation par exemple). Un panorama plutôt équilibré qui ne tronque pas ce qui est désagréable. Je trouverai des avis plus variés en cherchant dans les forums et blogs qui traitent de l’entreprise, de ses produits, services, de ses salariés. Pour prendre un point de comparaison hors CAC 40, le blog eee me paraît à ce titre plus riche en informations utiles que le site d’Asus : comparatifs, tests, avis des internautes…

Autre extrait plus instructif : loin de contrôler les informations circulant à leur sujet, elles se retrouvent victimes de la main mise d’une opinion qui n’oublie rien et ne vérifie pas toujours ses propos. Le vrai problème pour une entreprise (et par conséquent pour son agence de communication corporate) réside bien là : elle veut contrôler les informations qui circulent mais elle ne peut pas tout contrôler. En revanche elle peut participer à son amélioration, ce qui signifie(rait ?) jouer le jeu d’une certaine ouverture. Un exercice d’équilibriste très difficile et inédit (il me semble), qui reviendrait à ouvrir un peu brutalement la boîte de Pandore. Créer et animer une plate-forme de dialogue avec ses publics nécessiterait d’énormes moyens (dialoguer avec des dizaines de milliers d’intervenants potentiels) pour des résultats pas garantis (risque d’échanges qui s’enveniment ou s’éternisent, remontée de squelettes soigneusement oubliés dans le placard…), et une grande prudence.

Ce qui a changé avec Wikipedia, et Internet en général, c’est que désormais il existe un lieu où un ensemble d’informations sur l’entreprise est centralisé, avec les éléments positifs comme négatifs, et qui reste en ligne sans contrôle de l’entreprise elle-même. La mémoire collective des mauvaises affaires est donc en quelque sorte « ravivée » en permanence, et une crise passée reste gravée. L’oubli n’est plus possible, le pilori est en quelque sorte… éternel. Voilà qui est bien plus problématique dans le cas d’une gestion de crise : pour Total, on trouve ainsi AZF, Erika, la présence controversée en Birmanie, et des éléments sur l’enquête du juge Courroye. Ce constat vaut également pour les patrons comme Noël Forgeard.

Puisque l’amnésie n’est plus possible, il va falloir apprendre à faire avec son passé et l’assumer. Les conséquences d’une crise s’inscrivent désormais dans le temps pour l’entreprise et/ou son dirigeant. Voilà qui va peut-être inciter à la prudence, et peut-être à une forme de communication moins unidirectionnelle et plus proche d’une certaine forme de dialogue.

Une question de second rang qui n’a pas été abordée : et Google dans tout ça ? A ma connaissance, ce n’est pas le seul moteur de recherche disponible sur le web, même s’il est le plus utilisé.

A suivre.

Une Réponse

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  1. palpitt said, on 14 juin 2008 at 2:19

    Google n’est pas le seul moteur mais c’est effectivement celui qui fait sens, cela dit, quelques études ont montré que Google et Yahoo avaient un appétit pour Wikipédia à peu près comparable (cf. http://aixtal.blogspot.com/2007/11/moteurs-comparaison-google-yahoo.html).

    La phrase que je retiens est celle qui introduit la proposition de création du label : « parce qu’il n’y a aucune raison que la voix des anonymes ait plus de poids que celle de l’entreprise ou du dirigeant concerné » : sur Internet, nous sommes passés de l’ère de l’image parfaitement maîtrisée à celle de la réputation co-crée qui ne « tronque pas ce qui est désagréable » (pour reprendre vos propres termes), le « profil Google » d’une entreprise ne lui appartient pas, du moins pas totalement, justement parce que la « voix des anonymes » a de plus en plus de poids. On peut miser sur le référencement et s’assurer que l’on contrôle les premiers résultats, mais Google « aime » wikipédia et l’étude sur les entreprises du CAC40 ne fait QUE le constater (une analyse du contenu des pages Wikipédia n’aurait pas été de trop).

    Même si elles devront sûrement être clarifiées à l’avenir, que sait-on du niveau de connaissance actuel en entreprise des règles, des coutumes, propres à Wikipédia ?


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